Tout le monde a maintenant repris la route, le chemin ou la piste. Bonjour et bonne rentrée.
On dit que tous les chemins mènent à Rome mais ils mènent parfois en Russie. En voici une illustration :
"Les villes devraient être construites à la campagne, l'air y est tellement plus pur"
Le vieux soldat, avait sans doute en tête cette citation attribuée (1) à Alphonse Allais quand il inscrivit ses ouailles du République Club de Saint Petersbourg à La Tourkvilskaise. Course pédestre tout à fait adaptée aux paroles du célèbre auteur français qui se déroula, en un matin radieux, le dimanche 28 septembre 2014.
"Le vieux soldat" occupait le poste de responsable des inscriptions.
Comme chaque semaine, le balai des voitures respectait la trêve dominicale. L’atmosphère se trouvait momentanément lavé des nombreuses particules qui le polluent régulièrement les jours de grande circulation.
Les poumons des coureurs pouvaient donc s’emplir sans scories et nourrir d’oxygène les gambettes des compétiteurs appelés à emprunter quelques ruelles bordées de jardin puis, pour les concurrents du dix, s’engager dans la partie champêtre qui domine la ville.
"Le vieux soldat", dont on ne saluera jamais assez l’abnégation pour les causes qu‘il défend, jubilait. Pensez donc, ce survivant des batailles de Russie contre Napoléon, qui servit le tsar avant le RCS, voyait son contingent d’inscrits à l’épreuve se gonfler de quelques francs tireurs mobilisés au dernier moment. Pour quelqu’un qui engageait déjà, bébé, ses camarades de couche à la course aux biberons, vous pensez s’il bichait !
Des épreuves de jeunes précédaient les deux épreuves "kilométriquement" les plus conséquentes.
Je ne sais pas si beaucoup de monde le remarqua, mais lors de l'une d'elle, un père courait au côté de son fils tout en l’exhortant à gagner. Il provoqua la réaction du speaker qui utilisa sa verve à l’encontre de ce contrevenant aux règles :
- IL EST INTERDIT DE COURIR A CÔTE DE VOS ENFANTS, VOUS NE LEUR RENDEZ PAS SERVICE !
Plus l’arrivée approchait, moins le père indélicat entendait.
Ceux qui regardaient le père suiveur plutôt que l'enfant vainqueur furent les témoins d'un spectacle curieux. Le pantalon de survêtement du senior se transforma brièvement en couche et un hochet lui obtura la bouche. événement qui mit fin illico à ses cris d’exhortation et à sa cavalcade effrénée. La course par procuration était momentanément bâillonnée.
Cet événement resta quasiment inaperçu mais il représenta, comme vous allez le constater, les prémisses d'une intervention divine.
Igor Popovitch avait une longue carrière de pope derrière lui. Un pope peu orthodoxe si j'ose dire puisqu'en plus d'aimer la course à pied, il affectionnait le pop art et la pop musique. Une contradiction à l'époque de la guerre froide. Pour s'afficher en faveur d'un mouvement artistique ou musical provenant de Grande Bretagne et des Etats unis, il ne fallait pas avoir froid aux yeux !
Comme vous le saurez désormais il courrait aussi. Par goût de l'effort mais plutôt mal car mettre un pied devant l'autre lui causait bien du tourment en raison d'un strabisme divergent. Un de ses yeux regardait vers le paradis alors que l'autre lorgnait vers l'enfer. En cela il ressemblait à beaucoup d'entre nous me direz-vous. A la différence près qu'il avait su résister, lui, et plus souvent qu'à son tour, à la part de vision en dessous de la ceinture.
Pour se déplacer en évitant les obstacles, par contre, sa trajectoire n'avait pas connu la même rectitude. Il s'égarait fréquemment, prenait le chemin à l'envers ou heurtait quelque obstacle qui provoquait sa chute.
Il persistait pourtant et ce chemin de croix, doublé du don de sa personne au profit d'autrui, lui avait valu la sympathie de Saint Pierre. Ainsi, quand il rendit l'âme, c'est tout naturellement que ce dernier lui confia le rôle d'ange gardien.
Grisha Chevalski et Fedor Jean Jolaï galopaient souvent de concert aux entraînements du mercredi matin organisés par le RCS. Une solide amitié les liait, mais ils n'étaient pas exemplaires. Ils s'étaient attirés les foudres du commissaire politique du club, Vladimir Ilitch Algrainov, car ils n'effectuaient souvent qu'un entraînement par semaine.
De retour de vacances, ces renégats révisionnistes du fractionné collectif, attirés par le cadre champêtre de la Tourkvilskaise, avaient décidé d'y effectuer leur rentrée. Ils choisirent le cinq kilomètres.
Saint Pierre ressentit la nécessité de leur adjoindre un ange gardien. Le vernissage des ailes d'Igor Popovitch avait lieu sur le nuage d'à côté, le rapprochement ne fut pas long à faire. Igor se vit bientôt confier sa première mission. Accompagner les deux Pétersbourgeois pour leur éviter les chemins de traverse.
La femme de Gilles, Fedora Chevalski, prétendante à la victoire dans sa catégorie en l’absence de la grande Catherine, tsarine de toutes les V3, se joignit aux deux garçons à la fin de leur échauffement.
Igor voletait au dessus des trois concurrents qui trottinaient gentiment. Il se fit la réflexion que la découverte de la légère bosse du "cinq" leur permettrait de calculer l'effort à fournir. Il infléchit donc discrètement leur déplacement vers elle. Malheureusement l'ange à la vue basse s'était trompé en lisant l'heure de départ, il eut la pétoche que ses administrés soient en retard et sema le doute dans l'esprit d'un commissaire de course afin de rattraper le coup. Celui-ci alerta inopportunément les trois participants qui rentrèrent prématurément sans s'être frottés à la déclivité.
Les débuts de l'ange Igor ravissait Satan. Ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?
Malgré tout, l'attente du départ ne parut pas trop longue aux trois protagonistes. Le signal du starter les libéra et les deux garçons filèrent devant. En dépit d'une course zigzagante, provoquée par les impulsions maladroites d'Igor nos deux compères arrivèrent à bon port. Tantôt l'ange freinait l'un ou l'autre, tantôt il le poussait. Malheureusement du fait de son handicap visuel leur trajectoire n'était pas plus rectiligne que le vol de leur superviseur. Reconnaissons cependant que l'action de l'ange eut aussi du positif quand il ralentit l'un au profit de l'autre, puis l'autre au bénéfice de l'un. Opération qui leur permit de terminer ensemble conformément à leur vœu.
Sur la ligne, Igor, le devoir accomplit se retourna et s'aperçut que derrière eux courrait Nathalie. Elle avait un joli nom, etc...
Cela lui donna des idées :
il sortit de sa mission,
prit l'initiative d'aller musarder dans la côte du dix bien plus difficile que celle du cinq,
Contempla La Neva qui coulait plus bas,
Admira Hassan le premier, qui volait comme un avion sans aile, pratiquement aussi rapidement que lui.
Il s'arrêta ensuite afin de voir passer tous les membres du club :
Nicolas Stouffletovky le nez au vent, inventeur du jeu des mille lieux tant il va courir loin,
Roman Hautotnine surnommé "Hautot en emporte le vent" Pour sa capacité à se déplacer à la vitesse du mistral (gagnant),
Lev Mabitchev le septuagénaire qui ne descend jamais du podium,
Bien d'autres encore dont l'impressionnant président Vladimir Pesquetine qui prétend mettre les dissidents osseliens à sa botte.
Je ne peux les citer tous tellement ils sont nombreux. Qu'ils me pardonnent.
Je m'attarderai cependant sur celui qui ferma la marche du cinq kilomètres, "Notre vieux soldat", victime d'un ange gardien has been encore plus maladroit qu'Igor. Le seul d'ailleurs à être devenu ange avant son décès : Robert Hue.
On les a associés de là-haut pour une simple raison : ils portent le même collier !
Avec Jésus Christ, depuis la multiplication des poils, on n'en est plus à Une barbe près.
Jean François
1 ↑ L’aphorisme « Les villes devraient être construites à la campagne [...] » n’est ni d’Alphonse Allais, ni d’Henry Monnier, à qui on l’attribue comme étant extrait de sa pièce grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme (qui date de 1852), sans qu’une double lecture de cette pièce n’ait permis de le vérifier. L’idée en revient, en réalité, à Jean Louis Auguste Commerson, qui publia en 1851 les Pensées d’un emballeur, où l’on trouve : « Si l’on construisait actuellement des villes, on les bâtirait à la campagne, l’air y serait plus sain. » Il faut donc rendre à César ce qui lui appartient, même si une formulation plus heureuse a permis à Henry Monnier et Alphonse Allais de faire oublier le véritable inventeur de l’« idée » des villes à la campagne.